« Insensé, insensible, tu l'aimes mais pourtant tu la fuis
Insensé, insensible, tu l'aimes mais pourtant tu la fuis. »
Une vie de rêve. Oui, on aurait pu dire que tu avais une vie de rêve. Quelques petits accrochages avec tes parents, comme toute jeune adolescente, mais jamais rien de plus. Sage, de bons résultats, polie, modèle. La fille que bien des gens auraient aimé avoir. Jusqu’au jour où ta vie bascula. Un changement radical. Avec la découverte du cancer de ta mère, ce fut une nouvelle ère qui commença pour toi. Ce que tu gardais de ton « ancienne vie » furent tes attraits pour tes passions, la boxe, le skate et la danse. Tu avais commencé la boxe à la demande de ton père, pour te protéger, te rassurer même, les rassurer eux. La danse, c’était une idée de ta mère, pour souligner la grâce, la finesse qu’elle t’avait transmise. Et puis le skate, c’était toi, et seulement toi. La gentille petite rebelle qui roule sur sa planche pour se créer sa propre liberté.
Fuis ta vie.
Tout à dégénéré à mesure que la maladie avançait. Ton attitude se dégradait à mesure que la santé de ta mère faisait de même. Tes relations avec tes parents chutaient. Tu refusais, têtue et bornée, que la vie s’en prenne ainsi à ta mère. Et sans vraiment le vouloir, sans vraiment maîtriser ce que tu devenais, tes relations avec ta mère se dégradèrent quand même. Tu commençais à traîner plus tard dans les rues. Tu découvris la drogue, la cigarette, l’alcool. Il était rare de te voir une journée entière en cours, voir même rare de voir tout simplement tes résultats.
Oui, tu as fuis ta vie. Finis la petite adolescente modèle. Tu n’étais pas sensée être touchée ainsi par la maladie de ta mère. Elle ne l’a jamais voulu. Mais tu ne lui as pas laissé le choix. Tu as plongé dans la douleur alors qu’elle plongeait peu à peu dans son cancer.
Finis la gentille ado, bonjour à la véritable rebelle que tu es devenue. Tu as troqué ta danse élégante pour la danse de rue, la provocation. Tes cours de boxe, à la base pris pour t’apprendre à te défendre, n’étaient plus qu’un défouloir pour ta haine. Seul ton skate restait le même pour toi. Tu roulais toujours avec. Mais sans avoir la même paix, la même aisance. Ton attitude était droite, cassante, désagréable à voir.
« Ta mère est une fleur rare que t'abreuve par ton amour,
L'en priver c'est la tuer donc n'abrège pas son compte à rebours. »
Tu as en quelque sorte quitté leur vie. Tu ne rentrais presque plus chez toi. Tes parents avaient plus de chance de te croiser dans la rue que dans les couloirs de leur maison. Tu fuyais inconsciemment ta mère, ayant peur de voir les ravages de la maladie sur son visage. Ton père se mit à te détester pour ça. Ta mère eut du mal à le supporter. Mais ce fut elle qui fit le plus grand effort, ne te reprochant jamais rien alors qu’il y avait tant à redire sur ta conduite. Malgré ta métamorphose, les tatouages qui ornaient désormais ton corps, et ton look changeant, tu restais sa fille, l’unique et la chérie. Si seulement tu avais pu accepter, et lui montrer l’amour qui brûlait encore en toi malgré ta colère permanente.
« Dis-lui que tu l'aimes que tu regrettes ta manière d'être conflictuelle,
Elle a du mal à s'évader car tes grands frères ont pris du ferme. »
Tu n’as pas pris garde à la peur qui s’installait en elle, se frayant une place auprès de sa maladie. Tu continuais tes virées avec ta bande, sans voir l’inquiétude dans ses yeux lorsque l’un de tes « grands frères » se faisait arrêter. Vous trouviez ça presque cool. Après tout, vous étiez la « liberté ». Jusqu’à ce que cela ne tombe sur toi. Violent coup dans ta fierté. Tu n’étais pas si incapturable que ça, et il fallait maintenant assumer tes diverses conneries.
« Je suis sûr qu'elle aimerait juste entendre un « Maman je t'aime »,
À la place des cris du daron qui menace de te jeter. »
Tu n’étais pas encore majeure. Tes parents sont venus te chercher. Même ta mère était là. Heureusement qu’elle était là. Ton père t’a incendié, ne faisant qu’aggraver ton humeur et ta réticence à leur parler. Tu le provoquais du regard, soutenant le sien avec arrogance. Tu bouillais intérieurement, en colère contre le monde entier sans vraiment de raison. Ta mère te regardait te révolter ainsi sans rien dire. Et tu n’y faisais quasiment pas attention.
« Je suis sûr qu'elle craque au bout d'une semaine passée sans toi
Et que ton absence lui ferait plus mal qu'une chute du haut de son toit. »
La sentence est tombée. Ton père a décidé de t’éloigner pour que ta mère puisse se reposer. Tu as du aller vivre chez ta tante pendant plusieurs semaines. Tu ne le voulais pas. Ta mère n’avait plus la force de s’y opposer. Tu as protesté quelques temps, puis tu t’es calmée. Tu vivais maintenant avec ta tante, qui faisait un effort pour te laisser libre mais sous conditions. Tu sortais avec elle, riait avec elle. Tu as beaucoup parlé avec cette deuxième mère qui était simplement la sœur de la tienne. Vous avez parlé de votre douleur commune, de votre peur concernant ta mère. Vous viviez la même, mais différemment. Elle t’a peu à peu apaisée et changée. Elle t’a ouvert les yeux sur la violence dans laquelle tu t’étais enfermée. Tu as pleuré en découvrant la vérité, en te rendant compte d’à quel point tu avais sûrement fait souffrir ta mère.
Tu as finis par te calmer. Tu ne tirais pas un trait sur ta vie actuelle, mais voulait juste retrouver une part de celle d’avant. Tu as demandé à ta tante. Et elle t’a renvoyée chez toi sans prévenir ton père.
« Je suis sûr qu'elle aimerait juste que tu la prennes dans tes bras,
Exactement comme elle le faisait durant tes 12 premiers mois. »
Tu es entrée chez toi. Comme si de rien n’étais. Ton père était dans le salon. Tu l’as évité et tu es montée directement dans la chambre de ta mère. Tu es entrée et as laissé tomber son sac. Elle avait changé. Beaucoup changé. Tu t’es approchée, lui jetant un regard qui la fit sourire. Tu ne souriais pas. Tu t’es assise au bord de son lit et tu lui as pris la main avec une douceur nouvelle. Elle t’a appelé comme son « Ange » et tu as éclaté en sanglots en t’allongeant auprès d’elle. Tu l’as serrée dans tes bras, refusant de la lâcher. Tu as marmonné des excuses, la voix éteinte, la gorge nouée. Tu te rendrais enfin compte, tu assumais enfin, l’attitude négligeante que tu avais eu.
« Crois-moi sur paroles on peut remplacer des poumons mais surement pas une daronne.
T'as habité en elle, t'as habité sous son toit,
C'est la seule personne qui prie pour quitter ce monde avant toi. »
Elle t’a parlé. T’a rassurée. Ou du moins l’a tenté. Elle t’a tenu le discours que tu redoutais à entendre. Comme quoi tu étais jeune, que tu avais une vie entière devant toi, et que tu étais quelqu’un de merveilleux. Tu refusais de l’écouter. La suppliant presque. Tu sentais la résignation dans sa voix, et c’est peut-être ce qui te terrifiait le plus.
Ton père débarqua dans la chambre, ayant entendu ta mère te parler. Il tempêta aussitôt, te demandant de sortir, clamant que tu n’avais rien à faire ici avec l’attitude que tu avais osé avoir. Ta colère est aussitôt remonté, aussi vite que tu t’étais levée. Tu t’es approchée de lui, ne craignant absolument pas sa taille supérieure à la tienne. Tu as haussé le ton toi aussi. Tu lui as dis que tu n’étais revenue que pour ta mère, que tu voulais qu’il se casse, qu’il te laisse tranquille. Il t’a répondu que tu n’étais pas le reine du monde, que tu ne pensais toujours qu’à ton propre confort, tes propres idées.
« À par elle personne supporte ton égoïsme permanent
T'es pas le nombril du monde mais t'es celui de ta maman. »
Tu es repartie. Tu as regagné l’endroit où tu t’étais sentie si puissante : la rue. Ta mère t’a appelée, insistant pour que tu rentres. Tu as refusé, mais tu lui as fais la promesse de passer la voir chaque jour. Ce à quoi tu te tenais comme jamais. Dès que ton père quittait la maison, tu allais le remplacer au chevet de ta mère qui dépérissait de jour en jour.
«Simplement te serrer dans mes bras,
Te serrer très fort te dire je t'aime une dernière fois.»
Et puis un soir, alors que tu commençais une soirée chez un pote, ta tante t’a appelé. Tu t’es éloignée du groupe pour lui répondre avec bonne humeur, te demandant ce qu’elle pouvait bien avoir à te dire ou à te demander. Et puis tu t’es figée. Ta mère était partie à l’hôpital, en très mauvaise santé. Et ton père n’avait même pas pris la peine de t’appeler.
Tu as traversé la ville en courant, trébuchant dans ta hâte, te relevant sans cesse grâce à l’énergie du désespoir. On t’a arrêté à l’entrée de l’hôpital, te disant que tu ne pouvais pas entrer, que seuls les proches étaient autorisés à voir ta mère. Tu as explosé de rage, bousculant tout le monde sur ton passage alors que tu te précipitais dans le couloir vers la chambre que ta tante t’avait indiqué. Tu t’es écroulée au pied de son lit en pleurant, la respiration chaotique, tes jambes te faisant atrocement souffrir. Tu lui as une fois de plus serré la main, lui murmurant, lui criant que tu l’aimais, qu’elle était toute ta vie. La seule à t’avoir toujours acceptée comme tu étais, malgré tes différences, ton attirance sexuelle, ton attrait pour la vie de nuit…
Elle t’a répondu dans un souffle. Dans un dernier souffle. Et là tout s’est arrêté pour toi.
« Aujourd'hui Maman n'est plus là,
Je suis tombé de haut mais je pourrais pas tomber plus bas. »
Tu es restée absente pendant une semaine. Une semaine sans que quiconque ne puisse te joindre. Introuvable. Tu n’es réapparue que le jour de son enterrement. Habillée tout en noir, contrastant avec la clarté de tes cheveux blonds, tu te tenais à l’écart, torturant tes doigts. Ta tante s’est approchée pour te prendre dans ses bras. Tu as craqué une fois de plus, lui promettant que désormais, tu ferais tout pour la rendre fière, elle, de là où elle te regarderait. Tu n’as plus jamais adressé la parole à ton père, et ta tante t’a aidée à quitter le continent pour partir au Japon, visant l’une des plus grandes écoles du pays. Tu avais fait une promesse. Et tu la tiendrais.