Tu restes de glace, soupirant. Agaçant, agacé. On a beau de tirer les joues, te piquer, te taper, tu encaisses et tu laisses le malaise s'installer. On dirait un zombie flemmard et sensiblement joyeux... non, pas joyeux, plus endormi qu'autre chose. Tu es nonchalant, complètement attaqué par la flegme et rongé par la paresse. Tu n'espère même pas retrouver l'ardeur des premiers jours. Même les pierres que l'on t'envoie rebondissent sans briser cette foutue glace. Tu sembles fatigué, même peut-être bien épuisé. Tes yeux reflètent le peu de choses qu'il s'est passé dans ta vie, le poids d'un soupir de trop et l'affreux secret que tu as peur de révéler. A force de tomber, tu as compris un bon nombre de choses. Assis devant le piano, comme un fantôme. Pâle, tes cheveux blancs tombant sur tes maigres épaules et tes yeux clairs fixant les touches qui s'enfoncent sous le poids de tes doigts osseux, tu as l'air de t'ennuyer. Tu fermes tes yeux lentement, comme si tu allais t'endormir. Puis tu les rouvre, tout aussi lentement, comme si tu avais peur de regarder le piano et son clavier noir et blanc. Quand tu joues, tes ongles longs font un léger cliquetis, accompagnant les notes. Tu as vu ton honneur se liquéfier, tes poignets s'enchaîner et ton cœur se congeler amèrement. Ta jalousie te prend à la gorge et tu n'oses même pas la regarder dans les yeux ou même la toucher, alors que tu es désireux. Mais l'odeur qu'elle porte te gêne, tu te sens mal, tu veux fuir, et en même temps rester avec elle. Tu observes ton reflet sur l'instrument, gracieusement nettoyé, pendant que tu joues. Tu restes crispé sur tes lèvres, t'imaginant les siennes, succombant. Alors tu fermes les yeux pour essayer d'oublier les chatons et son grand sourire, le vide qui s'étend sous tes pieds nus et ta maigreur. Les visages de tes clients se dessinent dans ton esprit, te faisant grogner. Tu appuies un peu plus fort sur les touches. Tu te rappelles leur violence, baissant la tête. Tes lèvres brillent comme un appât, tu rouvres un peu les yeux et quitte le clavier pour essuyer l'humidité salée qui pointe au coin de tes paupières. Tu fais de ton mieux pour laisser les touches en paix. Le malaise s'agrandit. Tu es une sorte d'astre, tu as besoin de tomber. Tu crierais qu'il ne la rattrape même pas comme tu le fais toi. Tu es jaloux, tellement jaloux. Tu la voudrais à toi tout seul. Reposant tes mains sur le clavier, tu te remet à jouer, ton cerveau alignant des mots et des images sans grand intérêt ni grand sens. Tu enchaînes les dissonances, raye la simplicité de ta vie, te mets droit et te lèves, quittant la pièce sans bruits, agacé.

Tu t'engouffres dans les couloirs en te rongeant les ongles d'une main, te lacérant la paume de l'autre, avec une envie presque perceptible, cachant comme tu peux, ta colère qui augmente. Même si tu es fait de glace, tu bouillonnes; tu es jaloux, jaloux, jaloux. Mais ton orgueil te dit de te taire, de ne rien dire, de faire le beau, comme un chien souillé. Tu dévales les escaliers, priant pour ne pas la croiser. Tu te diriges vers ta chambre, là où ton espace s'apparente à se qui se passe dans ta tête : un bordel sans nom. Tu veux rester fier alors tu restes calme. Tu avales un cachet, t'assied sur ton lit. Ton hypocrisie te maltraite, mais tu stagnes. On ne sait pas ce que tu penses. On n'arrive pas à savoir ce qui se passe dans ta petite tête. Impassible, tu nous fixes, à la limite de la dépression. Ton regard reste vide. Désespérément vide. Tu défais ta chemise et t'allonge, las. Tu n'as plus spécialement envie d'être heureux. Elle ne veut pas de toi et tes amis sont des intéressés. Tu grognes un peu, observant tes chères bottes. Ta petite tête est envahie d'idées noires. Impossible de te calmer. Et là, tu te réveilles. Tu redeviens l'autre facette tant détestée, le narquois, l'horrible, le suspicieux, le plus que jaloux, le téméraire Wolfond. Tu deviens pire que lunatique, à la limite de la schizophrénie. Tu changes totalement d'attitude, pourrait frôler le harcèlement sexuel, tout casser. Tu redeviens le petit loup qui hurle pour n'importe quoi, emporté par sa colère; colère qui se lit sur ton visage et qui dicte chacun de tes pas. Ta force se décuple anormalement et tes traits sont légèrement difformes. C'est comme si c'était une double personnalité. Tu te redresses, droit comme un I, furieux. Les bouteilles pourraient s'entasser à côté de ton lit, quand tu es dans cet état là. Tu deviens violent, insolent, méchant et sarcastique. N'importe quoi te ferais criser et tes dents s’abîment les unes contre les autres dans ce cas là. Tes poings se ferment et les coups partent tout seuls, pendant que tu perds toute estime de toi, déjà que tu n'en avait que peu. Ton visage se ferme, tu tires la langue, accroupi sur tes fidèles bottes, prends cet air tellement peu agréable, qui fait que personne n'a envie de te parler. Et à partir de là, chaque chose t'insupportes, le moindre petit bruit, la moindre petite chose ferait que tes bras se couvrent de blessures, tu pourrais te battre pour rien et pour tout. Et le pire, c'est qu'on ne sais pas quelle mouche t'a piqué. Tu sembles encore plus maigre, fuyant. Tu n'arrêtes pas de bouger, de traîner des pieds, de faire du bruit, d'emmerder royalement les autres en grognant, jusqu'à ce qu'on te tendes une tablette de chocolat. Le chocolat, ce qui les sauvera tous.